Paroles de Patrons

Quand les loups se mangent entre eux…

Dans le livre « Paroles de Patrons. Que sont devenus nos fleurons nationaux ? » publié chez Racine, trois historiens de l’UCL se sont penchés sur la vente de grandes entreprises belges, Petrofina, Royale Belge, Tractebel, CBR, Société Générale de Belgique, Générale de Banque, Fortis, BBL, Sabena et d’autres. Ils ont interrogé 72 ministres et patrons de l’époque.

Les témoins n’hésitent pas à critiquer vertement certains de leurs collègues. C’est peu usuel dans un monde d’habitude policé. Les trois auteurs, Vincent Dujardin, Vincent Delcorps et Anne-Sophie Gijs ont rassemblé dans cet ouvrage analyses et témoignages directs.

Dans plusieurs cas, et notamment à la Société Générale de Belgique, un management défaillant, une trop faible ouverture à l’international et aux nouveaux secteurs économiques ont fragilisé l’entreprise, ouvrant la porte aux prédateurs. La faiblesse des ressources de la Société Générale de Belgique a freiné la croissance de ses filiales, au moment où l’économie était prospère. De vraies opportunités ratées.

Le cas de Tractebel est mis en avant, comme une des plus grandes pertes pour notre économie. Philippe Maystadt déclare: « Tractebel était incontestablement un fleuron mondial. C’est clair que, pendant des années, les Français ont siphonné les importants bénéfices réalisés en Belgique. (…) La délocalisation des profits diminue la capacité d’investissement dans l’avenir (…) » .

Les auteurs ont réussi à faire sortir de nombreuses personnes interviewées des classiques propos aseptisés. On pourra notamment lire parmi les nombreuses interviews des propos plutôt directs : Pierre-Olivier Beckers avait perdu la confiance des actionnaires familiaux de Delhaize (Charles de Cooman); le patron de la Générale de Banque, Fred Chaffart était totalement incompétent en matière bancaire et n’avait pas de stratégie (Marc Blanpain); Albert Frère a privilégié sa réussite et son enrichissement personnel au développement industriel de ses participations; Hervé de Carmoy, patron de la Générale de Belgique après la reprise par Suez, était une catastrophe.

Le gouvernement belge et le morcellement de la décision politique entre état fédéral et régions sont jugés sévèrement. Peu informé de la vie de l’entreprise, le gouvernement n’est quasi pas intervenu pour empêcher le démantèlement des joyaux de la couronne. Extrait : « Quant à la politique industrielle de la Belgique, le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a pas été la préoccupation majeure des politiques depuis des décennies. »

Un chapitre intéressant est consacré au modèle d’actionnariat familial. Des sociétés montrent une belle réussite de cohésion et de croissance :  Solvay, AB Inbev, Lhoist, Ackermans Van Haren. Le chapitre se conclut par l’interview de Luc Bertrand et un plaidoyer pour le modèle d’actionnariat familial, à condition que la famille souhaite, dans la durée et à travers les générations, soutenir un projet commun.

Faut-il pleurer sur le lait renversé ? Oui, si l’étude de ces entreprises permet d’éviter des erreurs à l’avenir et de renforcer par un fort actionnariat une stratégie de croissance et le maintien de centres de décision en Belgique. A suivre dans l’avenir à titre d’exemple : la stratégie de GBL, actionnaire à 17% de Umicore. Eviterons-nous une nouvelle cession à un partenaire étranger ou le management de GBL serait-il cette fois prêt à favoriser une consolidation autour d’un champion Umicore qui resterait belge ?

Paroles de Patrons